Traductions et Interprétariat : quelles gestions ?

Dans le cadre des partenariats et des réseaux auxquels nos organisations participent, la traduction et l’interprétariat sont des composantes de plus en plus régulières de nos activités. Bénévoles, professionnels : quelles sont les modes de gestion existants et quels sont les points de vigilance de ces métiers qui ne doivent pas être pris à la légère ?

Cet atelier a été un temps d’échange sur les pratiques des uns et des autres. Il a permis de recenser les points de vigilance et de découvrir ou rappeler les bases de l’utilisation de la traduction et/ou l’interprétariat par nos structures. Enfin, cet atelier a servi à poser les jalons d’une mutualisation de nos structures.

Judith Hitchman, du réseau Babels (www.babels.org), a animé l’atelier en faisant part de sa riche expérience en tant que traductrice et interprète, activement impliquée dans les processus des forums sociaux.

1) Les enjeux du multilinguisme pour nos structures

L’interprétariat et la traduction sont deux métiers relativement distincts. Le premier nécessite une aisance à l’oral, une capacité à communiquer tandis que le second a la possibilité de chercher l’information, de se renseigner sur le contexte, d’animer sa curiosité.

Dans le contexte de mondialisation, le secteur de la traduction/interprétariat s’est développé très rapidement. Les formations des traducteurs se sont multipliées et les pratiques aussi, amenant à bousculer les principes de la traduction. Face à une expansion grandissante, à une démultiplication des formations, le bénévolat se fait une place dans la traduction/interprétariat.

De notre côté, en tant qu’acteurs de la société civile, nous travaillons de plus en plus avec des organisations qui viennent des quatre coins du monde. La langue est essentielle à la compréhension mutuelle. Elle est, souvent, un paramètre présent sur nos sites. Qu’il y ait une partie en plusieurs langues sur un site, ou l’ensemble du site en plusieurs langues, la traduction aide nos structures à communiquer. Pour autant, la traduction et l’interprétariat sont souvent sous estimés du point financier et organisationnel. Au regard de nos expériences, il est essentiel de pouvoir créer une véritable collaboration avec eux au même titre que des contributeurs pour une revue.

En tant que structure, ayant généralement un budget limité, quelle est notre utilisation des traductions bénévoles et professionnelles ? Quels profils de traducteurs acceptent le bénévolat ? Qu’est ce que cela implique sur le travail ?

Plusieurs principes de base doivent être pris en compte :

• Que ce soit une mise en ligne d’une traduction sur le site ou un interprète qui travaille au sein d’une rencontre, leur travail représente la vitrine de nos organisations. Ainsi, la traduction et l’interprétariat doivent être pris en compte tant sur le plan financier que sur le plan de l’organisation. Ce ne doit pas être des activités reléguées au second plan car l’échec du document ou de la rencontre peut être souvent dû à la gestion de la traduction ou de l’interprétariat.

Il faut préférer faire venir moins d’intervenants étrangers et assurer l’interprétariat que faire venir des intervenants étrangers et qu’ils comprennent peu de choses. De même pour un document, la vigilance est de mise si on prévoit qu’il sera traduit pour assurer une structuration rigoureuse du document et afin d’éviter de modifier le texte une fois partie à la traduction, par exemple.

• Qu’elle soit gratuite ou payante, la traduction (de même pour l’interprétariat) doit avoir la même rigueur et utiliser les mêmes règles de traduction (respect des délais ; même recherche d’information sur le contexte, respect des conditions d’interprétariat, etc.).

• Le lien entre l’organisation qui sollicite et le traducteur/interprète est une collaboration basée sur la communication et la confiance. Du côté de nos structures, il ne faut pas hésiter à transmettre des articles qui compléteraient des informations de l’article à traduire ou sur le sujet à interpréter afin d’apporter une vision plus claire et approfondie du sujet traité.

Les profils de traducteurs bénévoles sont divers : outres les étudiants qui assurent des traductions bénévolement pour s’exercer, d’autres (cela peut être également des étudiants, des retraités) réalisent des traductions bénévolement pour participer à une cause. La traduction est une forme de militantisme. Des traducteurs professionnels alternent aussi entre des traductions payées et des traductions gratuites.

2) Retours sur les pratiques des organisations participantes

17 personnes étaient présentes. Des structures très différentes les unes des autres avec des besoins différents en matière de traductions et/ou d’interprétariat :
 Certaines font principalement de la traduction vers le français (Éditions Charles Léopold Mayer/Ritimo), d’autres souhaitent développer la traduction vers d’autres langues que le français afin de transmettre des analyses, des informations (Réseau Semences Paysannes) ;
 Certains travaillent dans plusieurs langues en même temps (Institut pour Refonder la Gouvernance(IRG)/ AGTER (en projet)) ;
 Certains doivent assurer, essentiellement, de l’interprétariat (Forum Mondial Sciences et Démocratie ; FPH) ou agissent sur les trois plans : traduction, interprétariat et sous titrages de film (Autres Brésils) ;

Judith Hitchman fait parti du réseau Babels (www.babels.org). Le réseau est né du Forum social mondial à Florence en 2002 où tout le monde courait dans tous les sens pour se faire comprendre. Depuis, le Réseau est lié au processus du FSM et donc à ses thématiques. Babels compte environ 9 000 bénévoles. Certaines régions sont plus étoffés que d’autres
(par exemple, un peu moins l’Asie). Babels a une Charte des interprètes qui pose les principes de fonctionnement du réseau et les valeurs qui régit le travail de traduction et d’interprétariat au sein du réseau. Lors des rencontres internationales, Babels implique les interprètes locaux en assurant à la fois un portage local et une formation sur place. C’est un investissement sur le long terme puisque l’organisation de la rencontre en amont permet de renforcer des compétences locales.

Il existe un autre réseau de traducteurs bénévoles : Transtrad (www.transtrad.net).

La gestion des traducteurs.
Qu’ils fournissent un travail bénévole ou rémunéré, la gestion des traducteurs passe par un tri en fonction de l’expérience mais également de la sensibilité et l’aisance sur les thématiques.

Depuis 2010, Ritimo enregistre 190 traducteurs en anglais, espagnol et portugais avec une large majorité pour l’anglais. Une base de données a été élaborée. Le tri passe par un premier texte qui sert d’évaluation. Lorsque le réseau de traducteurs s’est amplifié, la base de données a été organisée en fonction de codes couleurs (verte, jaunes rouges) selon la qualité des traductions. Les traductions sont envoyées à une liste de traducteurs qui choisissent une traduction. Ils doivent la rendre dans un délai de 15 jours ; Il y a un enthousiasme général à participer au réseau dont certains en voient une forme de militantisme.

Autres Brésils s’engage à la fois sur la traduction, l’interprétariat et le sous-titrage. L’association compte entre 10 à 30 traducteurs bénévoles du portugais vers le français. Chaque traducteur reçoit un fichier avec les méthodes à suivre. Il existe une liste de diffusion interne pour poser des questions. La gestion s’effectue à partir d’un tableau de traducteurs et relecteurs, en ligne sur google documents. Une fois la demande de traduction postée, les traducteurs du réseau s’inscrivent soit pour la traduction, soit pour la relecture. La qualité de la traduction repose sur la logique que l’article n’engage que le traducteur et le relecteur.
Côté interprétariat, ils font toujours appel à la même personne avec qui ils ont construit une relation de confiance et qui est habituée aux thèmes traités. Le budget pour le sous-titrage est conséquent. Souvent, Autres Brésils assure le sous titrage de films car beaucoup de films sous-titrés par le réalisateur sont de moindre qualité. Depuis peu, l’équipe d’Autres Brésils a assisté à une formation sur le sous-titrage pour connaitre à la fois la technique et la démarche de réalisation du sous-titrage.

Sur quels critères choisir de travailler avec des bénévoles ou des professionnels ?
Les critères diffèrent selon les structures. Outre l’aspect financier, certains préféreront produire moins mais assurer un niveau de traduction correct alors que d’autres préfèreront assurer une transmission des informations, des analyses quitte à ce qu’il y ait des fautes. La nature du document est un critère qui entre en jeu selon si c’est une information d’actualité sous forme de brève ou si c’est un papier universitaire. Également le support de publication, selon si c’est publié en version papier ou en ligne. Le type de diffusion influence notre choix selon si elle est restreinte ou élargit, grand public, experts, etc.

3) Recommandations et Vigilance

A savoir/ les bonnes pratiques
• Le traducteur et l’interprète doivent toujours travailler vers la langue maternelle.

• En règle générale, les traductions bénévoles oscillent entre 1 à 3 pages maximum.

• Favoriser le travail rémunéré par ceux qui ont assuré un travail bénévole lorsque l’on peut les payer. Lorsque l’on a un peu de budget : le mieux est d’alterner entre traductions bénévoles et traductions payées.

• Le prix solidaire d’un interprétariat pour une journée oscille entre 400 euros à 600 euros par interprète selon la taille de l’équipe, la difficulté du sujet et la longueur de la journée. Si la structure fait un prix plus bas, elle « brade » la prestation. Il faut donc opter pour le bénévolat.

• Le prix solidaire d’une traduction se situe entre 10cts et 12 cts le mot.

• Quand une rencontre dure 1h30 à 2h maximum, un interprète peut être suffisant, même si il est toujours mieux de prévoir deux interprètes. Par contre, dés lors que la rencontre dure plus de 2h, il faut assurer, obligatoirement, l’interprétariat en binôme, en alternant toutes les demi-heures.

• La relecture est un élément essentiel. Outre la traduction, la relecture peut parfois prendre plus de temps lorsque la traduction n’est pas satisfaisante. Il faut assurer systématiquement une relecture d’une traduction qu’elle soit bénévole ou rémunérée.

• Être attentif aux personnes qui sont à la fois interprètes/traducteurs car ce sont des métiers différents, avec des compétences différentes mais certain font très bien les deux !

Un peu d’outils

  • Linguee : www.linguee.fr est un dictionnaire anglais-français avec des millions d’exemples de phrases avec leur traduction.
  • Trados (www.trados.com/fr) est un logiciel de traduction.
  • OMEGAT est un logiciel libre de traduction : www.omegat.org/fr

Pistes de Mutualisation

Face aux entreprises qui externalisent vers l’Europe de l’Est et des entreprises en Europe de l’Ouest qui pratiquent des prix très bas, la question du modèle économique se pose. L’un des exemples qui différent est lors du FSM de Dakar où plusieurs organisations ont assemblé leur argent pour assurer l’interprétariat pour l’ensemble du FSM. La mutualisation passe autant par la mise en commun de nos moyens que par la mise en commun des coûts. Par exemple, Babels et Via Campesina ont leur glossaire. Vous pouvez retrouver les glossaires de Babels en ligne : www.babels.org/lexicons

• Développer des liens entre les différentes listes et outils des réseaux de traducteurs bénévoles et professionnelles.

• Élaborer une charte des utilisateurs de traducteurs sur les principes qui nous rassemblent (structures/traducteurs) et les règles qui régissent le fonctionnement bipartite (exemple : la non exploitation, le contrôle de qualité, prix solidaire, ne pas empêcher un travail local). L’équipe d’animation de la Coredem proposera prochainement un draft qui sera par la suite discuté et enrichit par l’ensemble des participants de la COREDEM.